PARTIE I – LES CONSTATS
Une course à l’innovation au détriment de l’humain
Malgré des avancées significatives dans les traitements, Laurent Gillot souligne que l’humain est souvent laissé de côté. « Ces dernières années, l’AF3M s’est battue pour avoir accès aux innovations thérapeutiques, certes chères mais qui représentaient des avancées importantes en termes d’accès aux soins pour les malades du myélome. Mais il est important de se battre aussi pour maintenir un bon système de santé, un nombre suffisant d’infirmières, de lits ouverts. Le constat que je fais aujourd’hui est que la technicité, la recherche, avancent, mais l’aspect humain, fonctionnel et l’accompagnement des malades sont laissés de côté », explique-t-il.
Pour le Pr Decaux, bien que le système soit performant techniquement, il atteint ses limites : « Je suis très sensible au discours de Laurent. Dès que l’on aborde la question de l’humain, du temps soignant, cela devient compliqué, car cela représente des charges salariales. Beaucoup de moyens et d’énergie sont investis dans l’innovation médicamenteuse ou technologique, notamment en hématologie et globalement en cancérologie mais il est difficile d’obtenir les financements pour embaucher du personnel, que ce soit une psychologue, une assistante sociale ». Il fait également le constat de la fragilité de certaines spécialités comme la psychiatrie qui bénéficient de beaucoup moins d’investissements.
Une défaillance des soins primaires entraînant des répercussions sur la prise en charge à l’hôpital
Les déserts médicaux, la difficulté d’accès aux soins primaires peuvent être responsables de retards de prise en charge et initialisation des traitements. Ce constat est partagé aussi bien par Laurent Gillot que par le Pr Decaux. « Aujourd’hui, il est plus facile d’obtenir un rendez-vous avec un cardiologue pour une opération du coeur, qui pourtant est une opération de haute technicité que d’obtenir un rendez-vous avec un dentiste pour se faire arracher une dent, un soin de routine pourtant nécessaire avant une opération du coeur ! » s’insurge Laurent. « Cela souligne l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire avec une bonne coordination entre les différents acteurs. La question est de savoir comment réussir à avoir une vision globale, une complémentarité entre les professionnels de santé du secteur privé et du secteur public, de la ville et de l’hôpital, comment arriver à renforcer la cohérence des parcours de soins des patients ? Comment arriver à offrir des soins de qualité à tous les patients qui en ont besoin quelle que soit la spécialité ? » s’interroge le Pr Decaux.
Une offre de soins de haute technicité au détriment des soins courants
Le Pr Decaux souligne les limites d’une hyper-performance axée sur l’innovation : « Je rejoins Laurent sur le fait qu’un patient peut réussir à obtenir rapidement un rendez-vous pour un soin de haute technicité alors que cela va être plus difficile pour des soins courants. S’ils restent indispensables, les médecins spécialisés, hyper-experts, sont difficilement interchangeables et ont perdu leur polyvalence pour prendre en charge des soins courants.» Malgré une médecine très performante, le système manque de robustesse, comme il la nomme, c’est-à-dire d’une capacité à rester stable et à s’adapter aux crises et aux évolutions à venir et notamment au vieillissement de la population, ce qui complique la prise en charge des soins courants et amplifie les inégalités.
« L’hyper-performance ne permet pas d’assurer la soutenabilité du système de soins sur le long terme, alors que la robustesse est peut-être moins performante mais permettrait d’assurer une capacité d’adaptation et de résilience face aux aléas et contraintes à venir. Il y a un vrai changement de paradigme à opérer sur la performance. Il faut savoir de temps en temps prendre du recul, du temps et ne pas être constamment obsédé par l’innovation. Cela soulève la question de savoir comment nous devons procéder pour continuer à soigner au mieux en faisant peut-être des concessions sur la performance » souligne le Pr Decaux.
Un système sous tension budgétaire
Le Pr Decaux constate que l’on soigne beaucoup mieux le myélome et d’autres pathologies malignes aujourd’hui mais avec des traitements de plus en plus coûteux. L’équilibre budgétaire du système de santé est mis à rude épreuve. Dans les hôpitaux, le coût des traitements représentent une part de plus en plus importante des dépenses. Il alerte : « Si cette tendance se poursuit, la question de la soutenabilité financière de notre système de santé se posera. Nous devons
nous interroger sur l’utilisation optimale des ressources, quitte à réévaluer l’intérêt de certains traitements et/ou examens complémentaires » et se demande « comment s’assurer que cet investissement humain et financier, qui est bien sûr très important, peut être poursuivi tout en étant vigilant à maintenir un système de santé soutenable et équitable sur le long terme ».