Psychologie

Bulletin 50 -

Impacts psychosociaux de la maladie

La maladie peut profondément changer les liens familiaux et amicaux et provoquer une réelle remise en question sur ses priorités, ses choix de vie, sa carrière… Regards croisés entre Valentine, malade et Bedra ZABALIA, psychologue.

Valentine a été diagnostiquée du myélome à l’âge de 38 ans. Récemment séparée, elle est retournée vivre chez son père le temps des traitements. Deux ans après, elle a repris un poste de coordinatrice dans un service d’hébergement d’urgence pour les sans-papiers. En arrêt maladie à la suite d’une rechute, elle témoigne aujourd’hui des impacts du myélome sur sa vie sociale, professionnelle et affective.

 

Quand la maladie resserre les liens familiaux

À partir du moment où Valentine a commencé les soins, sa vie sociale a été très limitée. « Je n’avais pas la capacité de sortir, les traitements me fatiguaient énormément. Je n’arrivais plus à marcher sans être aidée ». Mais elle a pu compter sur son père et ses sœurs, qui « ont été présents dans les 24 heures qui ont suivi l’annonce ». Ne pouvant plus vivre seule, elle est retournée vivre chez son père le temps des traitements. « J’étais sous haute dose de morphine et très fatiguée, j’avais beaucoup maigri et j’avais le dos très abîmé. Il fallait la présence de quelqu’un pour tous les gestes du quotidien. Nous avons été pendant des années en rupture avec mon père, le myélome a permis de reconstruire une relation. Mon père s’est occupé de moi et m’encourageait à chaque fois que j’avais des doutes. La maladie a rejoué l’échiquier relationnel avec ma famille, on a tous fait corps face à la maladie ».

 

Une épreuve relationnelle

Certains amis de Valentine ont été présents, lui ont rendu visite à l’hôpital, d’autres ne se sont pas manifestés. « Un de mes amis que je connaissais de longue date a été très présent au début de la maladie, il me faisait le ménage, les courses, il me préparait des petits plats. Bizarrement quand j’ai commencé à aller mieux, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Je ne me l’explique pas, cela a été une relation très forte, qui s’est terminée sur un non-dit. Il s’est certainement senti très utile et investi à ce moment-là, il a été là, je lui en serai toujours reconnaissante et je respecte son silence ».

 

Mais de nombreux effets bénéfiques

Valentine a pris beaucoup de recul, la maladie l’a aidée à se recentrer sur elle-même. « J’arrive à faire des choses seule et j’y vois un intérêt pour moi ». Elle s’est découverte beaucoup de centres d’intérêt, elle s’adonne à des activités manuelles, broderie, vannerie, jardinage… « des activités que je ne pratiquais pas avant car ma vie était tournée vers le travail, les amis, avoir une vie sociale, toutes les injonctions de notre société ! »

Aujourd’hui, Valentine n’a plus la même relation au travail. « Je suis toujours investie, engagée, mais je prends beaucoup de recul. Le travail n’est pas une fin en soi, c’est un moyen pour pouvoir vivre, je priorise à présent ma vie privée ».

Quant à ses liens amicaux, elle fait preuve de davantage de détachement. « J’accepte un peu mieux les deuils amicaux. Il faut dire aussi que j’ai beaucoup changé après la maladie, certains de mes amis ne me reconnaissaient plus ». Mais Valentine confie avoir fait de belles rencontres au cours de ses nouvelles activités. « J’ai créé des liens de camaraderie, avec des personnes ayant des passions, des centres d’intérêts communs. J’ai appris à apprécier ma propre compagnie, c’est libérateur, c’est une solitude choisie et joyeuse ».

« Lorsque la maladie est arrivée, j’étais sur une fin de cycle, il fallait que je fasse des changements, le myélome a créé cette rupture qui m’a permis de repartir de zéro, de revisiter ma façon de vivre. La maladie est là, c’est un état de fait, il faut essayer de se réconcilier avec elle et prendre conscience que l’on n’a qu’une vie ».

 

La réponse de Bedra ZABALIA, psychologue au CHU de Caen

 

Comment expliquez-vous ces impacts qu’ils soient d’ordre social, professionnel ou affectif ?

Le myélome est venu faire effraction dans l’existence de Valentine. Elle était très jeune au moment de la survenue de la maladie, ce qui est loin d’être anodin. Valentine a été impactée à différents niveaux : peu avant le diagnostic, elle s’est séparée. On peut imaginer que les circonstances d’une séparation peuvent fragiliser d’autant plus. Elle est contrainte d’arrêter son activité professionnelle et de changer de lieu de vie. Du jour au lendemain, elle a besoin d’aide car l’épreuve de la maladie et des traitements le nécessite. C’est un bouleversement total qui se situe non seulement sur le plan physique (les douleurs, la fatigue) mais également psychique (la perte d’autonomie et des repères). Toutes les sphères du quotidien sont touchées.

Tous ces changements sont brutaux et durent dans le temps. Ils sont en interaction permanente :  si le malade est douloureux, cela retentit sur son autonomie et sur son ressenti psychologique. Cette dépendance peut majorer une détresse psychique déjà présente du fait de la maladie, des traitements et du stress (notamment la peur de la récidive). Et de même, un état de stress et de détresse psychique peut aussi majorer le ressenti de la douleur physique. Tous ces phénomènes montrent combien tout est lié chez l’individu et qu’on ne peut jamais séparer la part physique de la part psycho-émotionnelle.

 

Quels mécanismes entrent en jeu et comment pallier les effets délétères de la maladie sur la vie sociale et affective ?

Lorsque la maladie survient, elle n’arrive pas sur un terrain vierge mais au cours d’une histoire tout à fait singulière. Il y a un « avant » la maladie et cet « avant » occupe une place prépondérante dans la façon dont va se vivre la maladie et tous ses désordres. L’histoire d’avant la maladie va colorer avec une palette particulière et propre à chacun la manière de faire face.

Chacun va explorer des chemins différents pour faire face à ce qui lui arrive et va mobiliser avec plus ou moins de facilité des ressources pour traverser la maladie. Une personne particulièrement vulnérable et fragilisée avant la maladie pourra nécessiter un accompagnement et un soutien particulier. Le suivi auprès d’un psychologue peut aider à identifier les difficultés et à mobiliser les ressources internes pour faire face à la maladie. L’idée est de pouvoir continuer sa vie en « faisant avec », c’est-à-dire faire avec ce que l’on ne peut pas changer (la maladie, les traitements et leurs conséquences) et réaménager ce qui peut l’être.

Bien-sûr, il n’est pas du tout indispensable de voir un psychologue. Toutes nos relations sont comme un tricot à plusieurs brins dont les couleurs et les points peuvent changer en cours de route. Certains se tricotent durant toute l’existence, les points peuvent être plus ou moins serrés ou plus ou moins lâches. Dans le même temps, d’autres s’interrompent et se détricotent (comme une séparation par exemple), d’autres s’interrompent puis reprennent, comme la relation de Valentine avec son père. Au fur et à mesure de son parcours, elle a également eu la capacité à composer avec certaines limites de son entourage (certains proches quittent le tricot) sans pour autant leur en tenir rigueur même s’il pouvait subsister de l’incompréhension par moments. De même, tous les changements de repères dans le quotidien l’ont amenée à repenser profondément et à requestionner des choses qui étaient jusque-là au centre de son existence, en particulier son travail et sa vie relationnelle.

La maladie crée un décalage avec certaines personnes de l’entourage qui ne comprennent pas pourquoi le malade ne va toujours pas bien malgré la rémission. Cela explique fréquemment le besoin d’isolement de la personne malade, de moins s’exposer aux regards des autres qui ne comprennent pas ce qui se joue dans ces moments difficiles.

Valentine, comme bien d’autres a traversé ces moments. L’épreuve de la maladie, sa durée, sa chronicité opèrent des changements profonds. « L’après » est toujours différent de « l’avant », les malades le ressentent bien. Ces changements existent aussi chez les proches, ils ne sortent pas indemnes de cette aventure. Le proche ne peut pas se mettre à la place du malade, cela veut dire aussi que le malade ne peut pas non plus se mettre à la place du proche. Les difficultés et les forces sont propres à chacun. L’enjeu de la relation est de trouver une façon de « faire équipe » tout en reconnaissant la détresse de part et d’autre. La qualité du dialogue est une condition essentielle.

 

Quel regard portez-vous sur ce témoignage ?

Le témoignage de Valentine vient révéler beaucoup de choses qui sont à l’œuvre lors de ’annonce d’une maladie grave et de sa chronicité. Les différents moments par lesquels elle passe et les mécanismes adaptatifs (inconscients ou non) qu’elle déploie y sont décrits avec justesse.

Chaque situation est unique, pour autant je pense que bien des malades et bien des proches trouveront un écho dans son histoire. Les différences que certains relèveront avec leurs propres expériences permettent aussi de constater que ce sont juste des différences et que ça n’est ni mieux ni moins bien.

Cette capacité à faire face est tout à fait illustrée dans le témoignage de Valentine. Elle se traduit par sa façon de lutter et de se reconstruire autrement, d’ouvrir d’autres voies de découverte et d’épanouissement possibles. Le métier de Valentine était un métier d’engagement et de service auprès des personnes vulnérables. Il lui a fallu beaucoup de travail intérieur et de cheminement pour lui permettre de hiérarchiser autrement ses priorités et de déplacer une partie de son intérêt vers autrui pour le diriger vers ses propres besoins. On voit d’ailleurs que ce mouvement des autres vers soi nécessite de réaménager ses relations sociales. Progressivement et au fur et à mesure des différents épisodes qui s’échelonnent entre le diagnostic à aujourd’hui, Valentine va apprivoiser ses ressentis et découvrir des possibilités insoupçonnées de bien-être. Je pense notamment aux activités annuelles et de jardinage qu’elle affectionne.

C’est un chemin long et chaotique qui se fait avec les forces et vulnérabilités de chacun, mais c’est un chemin possible. Je découvre sans cesse, au travers des rencontres avec les patients et les personnes de leur entourage combien l’humain a des capacités d’adaptation dans ces situations pourtant si douloureuses et si complexes.

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