Zoom sur

Bulletin 41 -

Les Chaînes Légères Libres sériques comme marqueur de suivi du myélome

Les chaines légères libres sont un bon marqueur de suivi de l’effet du traitement, en fonction du type et de la quantité de protéines monoclonales sécrétées dans le sang par le myélome.

Quels sont les myélomes candidats au traitement ?

Les myélomes traités répondent à une définition précise publiée par l’International Myeloma Working Group (IMWG). Ils ont en commun le fait de présenter au moins 10% de plasmocytes clonaux (cellules cancéreuses) dans la moelle osseuse accompagné d’au moins 1 évènement définissant le myélome (EDM). L’hypercalcémie, l’atteinte rénale, l’anémie et les lésions osseuses (bone lesions en anglais) constituent un 1er groupe d’EDM réunis dans l’acronyme CRAB. Ces myélomes sont symptomatiques.

Un 2ème groupe, défini en 2014, comporte 3 autres EDM : un taux de plasmocytes clonaux supérieur ou égal à 60% (donc très > à 10%), un ratio de chaines légères libres sériques (CLLi / CLLni – voir définition plus loin) supérieur ou égal à 100, la présence de plus d’une lésion focale visible à l’IRM. Ces myélomes sont asymptomatiques.

Les maladies non-candidates au traitement sont les MGUS (Gammapathies Monoclonales de Signification Indéterminée) ou les SMM (Myélomes indolents). Elles doivent être surveillées régulièrement afin de détecter leur évolution vers un myélome à traiter.

 

Quels sont les marqueurs de suivi du myélome ?

Les marqueurs de suivi, la façon de les choisir et de les interpréter sont définis par des recommandations internationales de l’IMWG. Les protéines monoclonales sécrétées dans le sang par la tumeur sont les principaux outils utilisés pour suivre l’évolution du myélome. On les qualifie de marqueur de suivi.

  • Cas des myélomes sécrétant : Dans la très grande majorité des cas (98 à 99%), les plasmocytes clonaux sécrètent en quantité variable dans le sang des protéines monoclonales. On distingue 2 catégories de protéines monoclonales : les immunoglobulines (Ig) entières de type IgG ou IgA et les chaines légères libres (CLL) de type kappa (κ) ou lambda (λ) - (voir Bulletin n°40 - Janv. 21). Sur les 80% de myélomes qui sécrètent des Ig entières monoclonales (IgG ou IgA), 1/10 sécrètent des Ig entières monoclonales uniquement et 9/10 sécrètent en plus des CLL monoclonales. Près de 20% des myélomes sécrètent des CLL monoclonales uniquement (κ ou λ). On les appelle myélomes à chaines légères libres.

En principe, la quantité du marqueur est mesurée avant puis pendant le traitement. La variation de cette quantité dans le temps traduit la réponse hématologique au traitement. Ainsi, une élévation significative de la quantité reflète une augmentation de la masse tumorale, signifiant l’absence d’effet du traitement. Au contraire, une diminution significative de la quantité du marqueur témoigne d’une régression de la tumeur, traduisant l’effet des médicaments.

  • Cas des myélomes non-sécrétant : Les myélomes non-sécrétant sont ultra minoritaires (1 à 2%). Chez eux, aucune protéine monoclonale n’est détectable ni quantifiable dans le sang. Faute de pouvoir faire un simple examen sanguin, le suivi de la maladie consiste à évaluer la quantité de cellules tumorales dans la moelle osseuse, contraignant les patients à subir une biopsie régulière.

 

Sur quoi repose le choix du marqueur sérique ?

Le choix du marqueur sérique repose sur une quantité minimum (ou quantité seuil) de protéines monoclonales mesurée au diagnostic et sur la sensibilité du test.

  • Le pic monoclonal : L’électrophorèse des protéines sériques (EPS), faite sur un prélèvement de sang, est une technique utilisée pour séparer les protéines du sang. Elle permet de mesurer la quantité de protéines monoclonales et plus précisé- ment la quantité d’Ig entières monoclonales (figure 1).

 

Au préalable, les protéines totales sont dosées (avec une autre technique que l’EPS). Cette quantité exprimée en gramme par litre (ex : 65 g/l) correspond à 100% de la surface totale sous la courbe de l’EPS.

Les protéines monoclonales se trouvent dans la zone appelée « pic monoclonal ». Si la surface sous le pic représente 20% de la surface totale, un calcul simple permet d’estimer la quantité de protéines monoclonales : 65 g/L x 20 / 100 = 13 g/L.

 

  • Notion de « maladie mesurable » et « non-mesurable » : Au diagnostic (donc avant tout traitement), si le pic sur l’EPS correspond à une quantité (ou concentration) de protéines monoclonales supérieure à 10 g/L, alors la maladie est dite « mesurable à l’électrophorèse » et cette technique est celle retenue pour le suivi. Après le traitement, si le pic est plus petit, cela signifie que la quantité de protéines monoclonales a diminué, donc que le traitement a eu un effet sur la tumeur.

Dans le cas où le pic à l’EPS correspond à une quantité inférieure à 10 g/L, la maladie est dite « non-mesurable à l’électrophorèse ». Les CLL sériques peuvent alors être choisies comme marqueur de suivi. Les CLL sont dosées sur un prélèvement de sang à l’aide d’un appareil appelé turbidimètre ou néphélomètre. Leur quantité (ou concentration) est un chiffre exprimé en milligramme par litre de sang (mg/L) rendu automatiquement par l’appareil (voir valeurs normales - figure 2).


 
Quelles sont les règles de suivi avec les chaines légères libres ?

Les règles de suivi avec les CLL sont standardisées et dictées par les recommandations.

  • Chaines légères impliquées et non-impliquées : Les CLL kappa et lambda sont produites et sécrétées dans le sang par les plasmocytes de la moelle osseuse. L’une d’entre elle est monoclonale, elle est produite et sécrétée par les plasmocytes tumoraux et on l’appelle « chaine légère impliquée » dans la maladie (CLLi). L’autre est produite et sécrétée par les plasmocytes normaux, elle est polyclonale, c’est la « chaine légère non impliquée » dans la maladie (CLLni).
  • Règles de suivi avec les CLL : On commence d’abord par vérifier que la maladie soit « mesurable en CLL », ce qui nécessite une concentration en CLL monoclonales (CLLi) au diagnostic 100 mg/l et que le ratio κ/λ soit anormal, c’est-à-dire en dehors de l’intervalle normal de référence (figure 2).


Lorsque les conditions de la maladie « mesurable en CLL » sont remplies, les CLL peuvent être utilisées comme marqueur de suivi et les concentrations des deux CLL (CCLi et CLLni) sont exploitées pour calculer une variable appelée dCLL ou « différence des CLL ». Le calcul est une simple soustraction : dCLL = (concentration de CLLi) - (concentration de CLLni).

L’augmentation significative de la valeur de la dCLL après le traitement comparée à sa valeur initiale au diagnostic traduit une absence d’effet du traitement sur la tumeur. Au contraire, une diminution significative de la dCLL traduit l’efficacité du médicament, on parle de « réponse hématologique au traitement».

 

  • Les différentes catégories de réponse au traitement : Les catégories de réponse hématologique au traitement sont définies par des paliers de diminution de la dCLL (figure 3). Ainsi, une diminution de 50% ou plus de la valeur initiale (au diagnostic) de la dCLL définit une Réponse Partielle (RP). Une diminution de 90% ou plus définit une Très Bonne Réponse Partielle (TBRP). La réponse complète (RC), quant à elle, correspond à un ratio normal κ/λ des CLL (entre 0,26 et 1,65) après le traitement (avec en plus une électrophorèse normale, une immunofixation normale et moins de 5% de plasmocytes clonaux dans la moelle osseuse).

Quand le traitement n’est pas efficace, soit la maladie est progressive quand la dCLL a augmenté d’au moins 25% que la valeur de cette augmentation est au moins de 100 mg/L, soit la maladie est stable quand aucun des critères de réponse (RP, TBRP, RC) ou de progression n’est observé.

 

Que sont et à quoi servent les protéines de Bence Jones urinaires ?

Les protéines de Bence Jones (PBJ) urinaires sont des CLL éliminées dans les urines. Marqueur historique pour le suivi des myélomes, elles laissent de plus en plus leur place aux CLL sériques.

  • Métabolisme rénal des CLL : Les CLL sériques sont filtrées par les glomérules, unités de filtration des reins, puis réabsorbées par les cellules des tubules rénaux. Une fois à l’intérieur de ces cellules, elles sont dégradées puis recyclées dans l’organisme. Dans les cas de myélome, le système de réabsorption se trouve souvent dépassé par de grandes quantités de CLL monoclonales. On les retrouve alors dans les urines.

  • Recherche des PBJ : Les PBJ urinaires sont recherchées puis estimées par électrophorèse des protéines pratiquées sur les urines excrétées pendant 24h. Si leur quantité au diagnostic est supérieure à 200 mg / 24h, on dit que « la maladie est mesurable en protéines de Bence Jones urinaires ». Lorsque cette condition est remplie, les PBJ urinaires peuvent servir de marqueur de suivi, notamment pour les myélomes à chaines légères.

 

  • Contraintes et limites des PBJ : L’utilisation des PBJ urinaires dans une pratique de routine quotidienne se heurte à la nature du prélèvement. En effet, les urines de 24h recueillies représentent un volume important, contraignant non seulement pour le patient (hospitalisé ou non) qui pratique le recueil mais aussi pour le laboratoire qui reçoit, stocke, homogénéise puis examine le prélèvement.

Un autre écueil à l’utilisation des PBJ urinaires dans le suivi réside dans le fait qu’elles ne sont pas détectables pour une proportion élevée de patients. En effet, si l’on considère un patient avec un niveau de sécrétion faible ou modéré de CLL monoclonales et des reins en bon état de fonctionnement, toutes les CLL monoclonales (ou une très grande quantité d’entre elles) sont réabsorbées puis dégradées par les cellules des reins. Il en résulte qu’une quantité nulle ou inférieure à 200 mg / 24h de PBJ se retrouve dans les urines. Dans une telle situation, il est impossible d’envisager les PBJ urinaires comme marqueur de suivi.

De même, dans le cas d’une insuffisance rénale grave voire terminale, l’émission d’urine étant très faible voire nulle, les PBJ ne sont pas utilisables. Dans ces situations, une absence de PBJ dans les urines ne signifie pas que la masse tumorale a disparu. Tous ces écueils ont été décrits dans une étude de l’IFM publiée en 2016 qui montre que sur 113 myélomes à chaines légères, 64% seulement des maladies étaient mesurables en PBJ urinaires alors que 100% d’entre elles l’étaient en CLL sériques.