Mieux-être

Bulletin 39 -

Quand la mémoire nous joue des tours

Problèmes de concentration, de mémoire, confusion, incapacité à trouver le bon mot, ces signes peuvent évoquer des troubles cognitifs qui affectent le quotidien des malades. Et pourtant, on en parle peu. Véronique Gérat-Muller, docteure en psychologie à l’Institut Bergonié de Bordeaux, et fondatrice d’onCOGiTE nous apporte son éclairage sur ces troubles.

On parle de séquelles cognitives après une chimiothérapie, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

L’effet d’annonce a fait croire, dans le passé, que les troubles cognitifs n’étaient que « psychologiques », c’est- à-dire qu’ils étaient liés à une dynamique émotionnelle, qui, dans le stress de l’annonce faisait que les patients présentaient d’emblée des troubles cognitifs et ce, bien avant la mise en place des traitements. On peut parler de sidération psychique au moment de l’annonce. Mais on s’est aperçu que la chimiothérapie pouvait provoquer des troubles cognitifs. Leur origine est multifactorielle. Premièrement, elle est liée à une toxicité directe des chimiothérapies sur les neurones, elle va venir attaquer leur équilibre qui permet au cerveau de fonctionner correctement et perturber la plasticité cérébrale, cette capacité du cerveau à créer des connexions entre les neurones.

Il y a d’autres effets neurotoxiques des traitements, qui vont entraîner des modifications anatomiques, ayant pour conséquences par exemple un dysfonctionnement au niveau de l’hippocampe, partie du cerveau qui gère tous les processus d’apprentissage.

 

Quels sont les troubles cognitifs que l’on peut constater ?

Parmi les troubles cognitifs, il y a les processus attentionnels, qui permettent, dans notre environnement, de sélectionner les éléments importants pour nous et qui vont servir à nous adapter. Ces processus vont être les premiers touchés, ils sont la base de tous les autres fonctionnements. Les séquelles cognitives affectent aussi la mémoire de travail, cette mémoire immédiate qui permet de se souvenir d’un certain nombre d’éléments et de savoir dans le quotidien, par exemple à quelle heure vous devez aller chercher quelqu’un à la gare, de réaliser un certain nombre de tâches.

Les fonctions exécutives, ou fonctions supérieures, qui assurent la gestion des informations, la planification, l’organisation sont également affectées. Dans la vie de tous les jours, il y a une atteinte directe sur la mémoire, les processus attentionnels étant défaillants. Par exemple, les difficultés à suivre une conversation, arriver dans une pièce et ne plus se souvenir ce que l’on vient y faire, ou des difficultés à préparer un repas, etc. Toutes ces situations peuvent paraître anodines, l’entourage va dire au malade « moi aussi, ça m’arrive » et de ce fait les banalise. La différence entre ces petits manquements que l’on a tous, va se manifester dans la multiplication et l’omniprésence de ces signaux.

Ces troubles peuvent arriver de manière relativement précoce, dès la mise en place du traitement, ou plus tardivement et sont normalement transitoires. En hématologie, les troubles cognitifs sont très fréquents. Parler de ces troubles ne signifie pas dénoncer les traitements. L’important est de les reconnaître et de les accompagner.

 

Recréer les connexions neuronales perdues

Il s’agit tout d’abord d’un travail de psychoéducation, c’est-à-dire expliquer aux malades les processus cognitifs qui sont à l’œuvre quand ils font une action et quels sont les symptômes des troubles cognitifs. Le point de départ est de dire qu’avant, on était adapté à notre travail, à notre vie de tous les jours. On grimpait une côte à vélo, à notre rythme, et on y arrivait. Le cancer est passé par là, on a perdu du muscle, de l’endurance. L’objectif de ces ateliers est de recréer des connexions neuronales et d’apprendre à se servir du dérailleur du vélo, c’est- à-dire à mettre en place une stratégie. Le fait de comprendre comment le cerveau fonctionne va permettre de contourner les difficultés en mettant en place des actions. Il s’agit aussi de « recréer du muscle ». C’est en fait de l’« aérobic neuronal » ! On va retravailler les zones d’expertise perdues mais aussi apprendre de nouvelles stratégies, voire travailler de nouvelles fonctions que le patient n’utilisait peut-être pas jusqu’à présent. Il n’est pas important que le patient réussisse les exercices mais qu’il les fasse. La réussite arrive de surcroît, par un effet d’entraînement, c’est un cercle vertueux de la confiance en soi qui va se remettre en place.

 

Des bénéfices réels sur la qualité de vie

L’expérience que j’ai mise en place à Bergonié s’est déroulée sous couvert d’une recherche exploratoire qui nous a permis de tester le ressenti des patients lors de ces ateliers. Les retours de questionnaires ont mis en avant une amélioration statistiquement significative de l’anxiété et de la qualité de vie et des processus cognitifs perçus. Les patients ont déclaré avoir un réel confort au quotidien. Les ateliers leur ont aussi permis de garder un lien social. L’étude ayant été menée sans groupe contrôle, nous ne pouvons donc pas déterminer si ces résultats peuvent être attribués uniquement aux ateliers.

 

Pour aller plus loin

En savoir plus : https://oncogite.com/

 

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