C’est un myélome stade 1, elle a 39 ans, deux enfants, divorcée après 17 ans, de nouveau en couple, elle prévoit un enfant. Alors elle demande « combien y a -t- il de temps entre les stades ? », le docteur lui répond : « Vous savez, 5 ans, 0, 20… », et il s’arrête là et ne lui donne pas plus d’informations.
C’est un myélome indolent, avec une surveillance tous les trimestres. Elle le prend comme une surveillance d’un JAF (le juge aux affaires familiales) alors qu’elle se considère comme une personne LIBRE. « C’est le début de l’enfer » me dit Ina.
Avec le travail, la garde des enfants, c’était une charge mentale importante, telle, qu’elle a cru qu’elle allait crever ! Elle me parle du stress de l’attente : entre les « petits vampires » qui prennent 12 tubes de sang pour les analyses et l’attente du courrier pour les résultats. Puis elle apprend qu’elle est enceinte de deux mois après son diagnostic : elle parle de « la machine à laver émotionnelle », car son hématologue est catastrophique « Vous risquez votre vie », « vous prenez de gros risques, votre enfant va vous faire mourir ». Il lui précise que si son myélome progresse, il y a risque d’interruption médicale de grossesse (IMG même à 7 mois).
Enfin d’année, elle est au bord du gouffre : elle se voit mourir tous les jours et ses enfants orphelins. Au service d’orthogénie, une infirmière est à son écoute et lui propose de suivre le parcours de l‘IMG, quitte à annuler l’intervention le jour J. On imagine aisément les réflexions difficiles d’Ina. On comprend le choix de ses mots pour me raconter son parcours puis sa décision : ce sera une IVG pour profiter de ses enfants, un fils de 11 ans et une fille de 6 ans et demi.
Après des jours de tourments intérieurs lorsqu’elle communique son choix à son hémato, il lui demande « pourquoi ? », car entre temps il a lu des études canadiennes, et « c’est parfaitement compatible ». Ina décide de changer d’hématologue…
Ses résultats sanguins sont bons, elle passe à une surveillance tous les 6 mois… jusqu’en 2016 où il y a un “glissement” vers sa mère.
C’est en réorganisant son intérieur que sa mère se fait mal. Elles pensent toutes deux que c’est « un tour de reins ». Ina organise un rendez-vous pour une radio lombaire près de chez elle. Le radiologue, la mine dépitée, demande un scanner et des analyses complémentaires car il n’y a plus de vertèbre au niveau lombo sacré (au niveau des dernières vertèbres lombaires dans le bas du dos), c’est en poussière : il ne SAIT PAS comment sa mère peut encore marcher !
Le bilan sanguin de sa mère indique un pic monoclonal élevé. Elle est prise en charge rapidement. Ina est aide-soignante. Depuis 4 ans, elle s’est informée sur le myélome, mais c’est difficile d’être à la fois patiente et de gérer la pathologie de sa mère. À l’hôpital, elles parlent du myélome de sa mère, pas du sien. Ina a vu toutes les phases, tous les traitements par lesquels elle va passer : autogreffe, vomis, diarrhées, perte de cheveux, perruque… les moments difficiles de la perte d’autonomie. Ne plus être la fille de sa mère, « je devenais sa maman », alors qu’elle avait besoin de sa mère pour avancer dans SA maladie.
Alors elle « prend sur elle », pour que tout se passe au mieux pour sa mère : en organisant des moments de joie, de magie, de blagues. Créer des petits riens pour rire, et ne pas se prendre au sérieux ! Sa mère est très forte, une battante. Elle a eu une autogreffe à 69 ans. Cependant, au moment de la rémission c’était une bataille entre elles : « car ce n’est pas une guérison, il faut être vigilant (avec de l’espoir) ».
Ina a vécu le myélome par procuration, donc, dans sa tête, elle « sait qu’on n’est pas sorti de l’affaire » et reste toujours en surveillance.
Elle gère sa mère, sa propre santé, son travail… et l’attentat de Nice où elle était présente. Elle n’en peut plus : ce sera psychiatre et ALD. Ce seront des années de bataille, même si elle est fonctionnaire et a d’autres pathologies.
Après 6 mois de rémission, le myélome de sa mère flambe. Ina s’occupe de sa mère et devient un « agenda bipède vivant » en gérant alternativement les hospitalisations, les courses, la mise en place de l’HAD selon l’autonomie de sa mère.
Quand Ina décide de déménager dans une autre région, elle commence les navettes régulières mais devient un standard téléphonique gérant non-stop, à distance, kiné, taxi, hôpital, annulations et nouveaux rendez-vous. Cela se complique avec le confinement dû au COVID : gestion des infirmières, livraison des repas = ce sera une chaine solidaire avec ses copines sur place pour les courses.
Puis le myélome de sa mère gagne du terrain : hospitalisation, fin du confinement, on lui propose l’EHPAD, mais sa mère est encore autonome. Il faut insister pour organiser une HAD. Quand l’état de sa mère se détériore, en voyant les analyses de sang, Ina comprend. Elle ne veut pas entendre de « peut- être » de la cadre hospitalière. En massant les pieds de sa mère, elle voit qu’elle a une couche…
Petit réveillon en famille, il y a un appel en absence. Sa mère est morte à 23h45 le 25 décembre. « Jour de départ difficile à oublier ».
Cependant, il fallait qu’elle voie sa mère une dernière fois pour que cela soit réel. Elle l ’a vu apaisée. Ina s ’était oubliée pendant toutes ces années. En 2022, elle commence à s’occupe d’elle (je dirais enfin).
Le myélome d’Ina est stable depuis 13 ans mais elle ne se l’est jamais approprié. Ce n’est pas « sa » maladie mais « une » maladie. Sans doute le mental joue un peu. Ina me dit qu’elle a eu du rab’, « quoi qu’il arrive maintenant ce n’est que du bonus ».
Elle pense à elle, a décidé de prendre mieux soin de son corps avec du fitness, du stretching, de la sophrologie ou de la marche. Et aussi son mur de fierté où elle colle ses stickers pour visualiser son investissement. Un système de récompense quotidien.
Je lui demande un message à transmettre pour conclure. « Affronter le myélome c’est devenir une guerrière d’une force inébranlable, une résilience qui comme une flamme ardente, illumine seulement notre propre chemin, mais inspire aussi ceux qui se battent à nos côtés ».
Si je vous dis qu’elle a un pseudo sur Facebook, et qu’elle a écrit un livre de poésie sous un autre nom, je ne vous étonne pas, n’est-ce pas ?
Merci à Ina de nous avoir raconté son parcours difficile et si éclairant sur l’importance de l’écoute : des autres, des proches mais avant tout de SOI !